Je suis à peu près sûr que certains lecteurs seront tentés de rapprocher la crise actuelle du Coronavirus avec le virus évoqué dans le roman L’Apocalypse de Roger tant ce sujet (le virus) peut être matière à polémiques, enracinant des divisions dans la population et provoquant, parfois, des comportements violents ou irresponsables.
Sauf que, et j’en ai parlé dès le premier article, les bases de cette histoire ont été posées plusieurs années avant l’arrivée de ladite crise sanitaire actuelle. Ne comptez pas sur moi pour établir un moindre parallèle entre ce qui arrive à Roger Vécisse à cause du virus de l’asociabilité et ce que nous vivons à cause du Coronavirus. Et non, je ne suis pas devin et lorsque j’écris je n’utilise aucune boule de cristal. Alors quid de cet élément perturbateur ?
Pour moi, un virus représente une parfaite arme de destruction des vertus civiques. Le vecteur idéal pour monter une partie de la population (les personnes non atteintes) contre l’autre (les atteints). Dans le roman L’Apocalypse de Roger, un agent viral imaginaire va servir les ambitions d’un régime politique pour « exclure à tous points de vue de la société des bien-portants toutes ces personnes devenues trop chères à nourrir, à payer, à intégrer à un système économique où même des consortiums tentaculaires semblent avoir épuisé leur arsenal de travaux aussi abrutissants qu’inutiles. » (Préface du roman de Christian Knoll)
Impensable me direz-vous ? Eh bien pas tant que ça, puisque cette fausse bonne raison a déjà utilisée lors de notre histoire commune au XXe siècle.
Laissez-moi vous donner trois exemples :
Premier exemple :
« La Première Guerre mondiale a inauguré de nouvelles pratiques de violence visant les populations civiles, des massacres de masse légitimés au nom d’idéaux supérieurs. La guerre s’est affirmée comme un cadre propice. Le cas emblématique des Arméniens, visant les propres sujets d’un État, décrétés ennemis intérieurs par l’État dont ils sont les citoyens, a inauguré la modernité génocidaire du XXe siècle.
Parti unique, contrôlant tous les rouages administratifs et militaires, le Comité Union et Progrès (CUP) entrera en guerre en novembre 1914 aux côtés de l’Allemagne avec la claire conscience qu’il se créait ainsi l’opportunité de réaliser son projet de construction d’un État-nation turc, en éradiquant tous les groupes susceptibles de l’entraver. Dès le 3 août 1914, un décret de mobilisation générale, incluant les Arméniens, avait été promulgué. Le Comité central du CUP décide aussi de la formation d’une organisation spéciale (OS), la Teşkilât – ı Mahsusa, un groupe paramilitaire chargé de la lutte contre les tumeurs internes. L’entrée en guerre permet également de légitimer les réquisitions militaires, s’apparentant à un pillage, visant entrepreneurs arméniens et grecs. »
Lutte contre les tumeurs internes : des êtres humains sont qualifiés de tumeurs…
Le gouvernement turc n’est pas de cet avis.
Le président Erdogan l’a rappelé : « La Turquie, issue du démantèlement de l’empire en 1920, reconnaît des massacres mais récuse le terme de génocide, évoquant une guerre civile en Anatolie, doublée d’une famine, dans laquelle 300 000 à 500 000 Arméniens et autant de Turcs ont trouvé la mort. » (Source France 24, le 27.04.2021 – 1 h 28).
Bien que le « génocide » soit reconnu par plus de vingt pays, dont les États-Unis par la voix de son président actuel Joe Biden, le président Erdogan a déclaré à la presse après avoir présidé une réunion de son gouvernement à Ankara : « Le président américain a eu des propos sans fondement, injustes et contraires à la réalité » (Source France 24).
La Turquie n’a « de leçons à recevoir de personne sur son histoire », avait auparavant déclaré le chef de la diplomatie turque, Mevlut Cavusoglu.
Le sujet reste très sensible diplomatiquement.
Deuxième exemple :
Le régime hitlérien et la « question juive », où comment des êtres humains sont assimilés à une maladie contagieuse. (Source Pierre-André Taguieff, politiste, philosophe, historien, directeur de recherche au CNRS – Journal Marianne, tribune du 3/11/2020 à 11 h 48.)
« La construction du Juif comme ennemi absolu, chez Hitler, se déploie sur la base de deux amalgames polémiques : d’une part, le Juif assimilé à un bacille, à un virus, à la tuberculose raciale des peuple ; d’autre part, le Juif défini comme l’image du diable. Autrement dit, les Juifs ne représentent pas simplement une race inférieure parmi d’autres, ils incarnent une puissance négative, le principe même du Mal. C’est pourquoi certains idéologues nazis, tel Alfred Rosenberg, caractériseront les Juifs comme une contre-race (Gegen-Rasse), qui serait l’ennemie de toutes les races.
Les thèses racistes comportent deux volets principaux :
D’une part, l’affirmation d’une inégalité entre les races : si la race aryenne, absolument supérieure, est la seule race dotée du pouvoir de créer la civilisation, les Juifs sont dénoncés comme des parasites, des corrupteurs et des destructeurs.
D’autre part, la hantise de la pureté du sang de la race supérieure (aryano-germanique), qui implique de recourir à des mesures politiques allant de l’eugénique raciale à l’extermination physique des individus ou des groupes jugés sans valeur de vie.
Pour Hitler, il s’agit à la fois de conserver un ordre racial hiérarchique supposé conforme à la nature et à ses lois, et de viser à purifier racialement le peuple allemand.
Hitler ne cache pas sa hantise de l’empoisonnement du sang – du sang allemand ou germano-aryen –, par le sang juif. Il accuse les Juifs de comploter pour métisser et, par là, abaisser les peuples de race supérieure, afin de les mettre en esclavage. […] »
Troisième exemple :
11 juillet 1995, le massacre de Srebrenica (Source Ina.fr)
Le 11 juillet 1995. Alors que la guerre de Bosnie-Herzégovine fait rage, 8 372 hommes bosniaques musulmans sont massacrés à Srebrenica par des unités de l’Armée de la République serbe de Bosnie (VRS) sous le commandement du général Ratko Mladic.
Le 13 juillet, on commence à parler de « purification ethnique ». Le JT de 20 heures présente des images serbes et rappelle la situation critique : « Dès mercredi, les Serbes ont commencé à organiser l’expulsion de la population musulmane de l’enclave, sous la direction de leur commandant, le général Mladic. Des milliers de réfugiés se retrouvent à Tuzla, une autre enclave musulmane, pour échapper aux Serbes ».
Des images de la télévision serbe bosniaque tournées à Potocari montrent un général Mladic bienveillant, faisant distribuer du chocolat aux enfants et organisant l’évacuation des femmes et des enfants par autocar, séparant les familles. Le sort réservé aux hommes est beaucoup plus sombre et la présence des Casques bleus n’y change rien.
Voilà ce qui se passait en réalité pour les hommes et adolescents à la descente des bus. Le 3 juin 2005, dix ans après les faits, une vidéo montrant des exécutions de jeunes musulmans bosniaques par une milice serbe, les Scorpions, en 1995 est diffusée au Tribunal pénal international, prouvant que des unités paramilitaires serbes ont participé au massacre.
En 1996, le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie lance un mandat d’arrêt international contre Radovan Karadzic et Ratko Mladic, poursuivis pour génocide, crimes contre l’humanité et crimes de guerre lors de la guerre de Bosnie (1992-1995), qui a fait plus de 100 000 morts et 2,2 millions de déplacés.
Le 26 février 2007, la Cour internationale de justice a rendu son jugement, dans lequel elle a confirmé le jugement du TPIY selon lequel le massacre de Srebrenica était un génocide, déclarant : « La Cour conclut que les actes commis à Srebrenica relevant de l’article II a) et b) de la Convention ont été commis avec l’intention spécifique de détruire en partie le groupe des musulmans de Bosnie-Herzégovine comme tel ; et que, en conséquence, ces actes étaient des actes de génocide, commis par des membres de la VRS à Srebrenica et à proximité à partir du 13 juillet 1995. (Source Wikipédia : liste des poursuites pour génocide en Bosnie-Herzégovine.)
Voilà donc trois exemples où, au cours de l’histoire, des êtres humains ont été assimilés à des tumeurs, des virus, de la tuberculose, de la vermine… Pour écrire le roman, il m’a donc suffi de regarder un peu en arrière et l’idée du virus comme élément perturbateur dans la vie bien rangée de Roger Vécisse, m’a paru être une évidence.