Monsieur Presque

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Charles de Batz-Castelmore comte d’Artagnan

Paris, le 3 février de l’an de grâce 1645

Sieur Cyrano de Bergerac,

Ou peut-être devrais-je vous nommer Cyrano de Paris ? Car en somme c’est bien là que vous fûtes né, monsieur l’imposteur ! Alors qu’avez-vous à répondre à cela ? Vous êtes de Bergerac, comme je suis de Rome. Est-ce donc cela toute votre croyance ?
Alors ! Monsieur le sournois, allez-vous cacher sous votre… quoi donc au fait ? Un roc ? Tudieu un grain de sable, un caillou au mieux ! Un pic ? Moi j’appellerai cela une fosse. Fosse nasale, cela vous va comme un gant ! Surtout avec toute cette broussaille qui vous envahit l’intérieur, comme le chiendent un trou sans fond ! Un cap ? Non ! Uniquement le début du commencement de l’orée d’une protubérance de truffe. Comment ? Ouah… Ouah… Et le cabot aboie, en outre ! Une péninsule ? Mais dans quel monde vivez-vous, monsieur ? J’ai ouï dire le milieu du théâtre et des saltimbanques. Vous bonimentez comme vous respirez ! Savez-vous au moins ce qu’une péninsule représente ? Apparemment non ! Eh bien je vais vous l’enseigner, monsieur l’écrivain de pacotille : c’est une presqu’île. Presque île ! Jugez donc, vous manufacturez dans le presque, jamais dans l’entier !
Tiens, c’est comme ceci que je vous désignerai dorénavant : monsieur Presque ! Ah, comme ce sobriquet vous va bien ! Monsieur Presque, un cadet. Monsieur Presque, une fine lame.
Vous êtes un fourbe, monsieur Presque ! Vous jurez d’avoir occis cent hommes à la porte de Nesle ? Vous pourriez en retrancher cent pour faire bonne mesure ! À votre place ce parjure m’emplirait de honte et de componction.
Quant à votre lame, elle est aussi courbe que la piste de votre appendice nasal ! Contentez-vous donc de vos entretiens pointus, vos pointes sont juste bonnes à faire rire le tout-venant !
Mordious ! Désirez-vous tâter d’une vraie rapière, monsieur Hercule Savinien Cyrano de la bonne claque ?
Ou plutôt, non ! Je ne vous demande pas votre avis de faquin. Je jette mon gant à votre triste figure de maraud. Je vous attends demain au champ d’entraînement des mousquetaires, à la première lumière du jour. Et tant pis pour l’interdiction des duels, il en va de l’honneur des cadets du roi. Nous verrons bien si vous vous faites plus petit qu’une souris pour prendre la clef des champs.
Si vous possédez une once d’honneur, venez donc tâter de mes humeurs. Je vous préviens ; elles sont fortes, méchantes et sans cesse courroucées par vos pirouettes et saillies drolatiques. Et croyez bien que ce ne sont pas vos mazarinades qui vont me calmer ! La flagornerie n’a point d’effet sur moi, vil comploteur ! Nous savons que vous prêchez le faux pour savoir le vrai. Nous tirer les vers du nez pour le compte du cardinal, voilà toute votre affaire ! Et le nez, vous en êtes le docte savant ! N’est-il pas ?
Ah, le butor, le foutriquet ! Se faire passer pour un cadet du roi ! Quelle supercherie que cela !
Et quand je vous enverrai dans l’autre monde, et là je ne vous parle pas de théâtre, ne comptez point sur des larmes ou des apitoiements de bonne femme ! En tant que vrai cadet de Gascogne, ce que je peux vous promettre, c’est une tombe. Chrétienne ? N’y comptez pas avec tous vos parjures et vos vilenies !
Non, un trou. Juste une cavité dans laquelle je vous jetterai. N’ayez point peur pour votre postérité, j’y planterai un bout de bois avec votre nom et surtout cette belle épitaphe qui vous siéra à merveille : à la fin de l’envoi, je me couche !

Je ne vous salue pas, monsieur Presque.

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