Les niveaux de langue

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Dans un roman, l’auteur va souvent devoir employer différents niveaux de langue par l’intermédiaire de ses personnages. En effet, on se doute bien qu’une jeune fille de quinze ans ne parlera pas comme un homme de quarante ou comme une mamie de quatre-vingts ans. Outre l’âge qui affecte significativement la parlure (comme disent nos amis québécois), il y a aussi le milieu socioculturel, le lieu de naissance, le lieu d’habitation, la profession, le sexe, le niveau de culture, etc.

Voilà quelques exemples de déclinaisons de niveau de langue pour mieux comprendre. J’espère que vous aurez autant de plaisir à les lire que j’ai eu à les écrire.

Texte original de Scott Fitzgerald : Gatsby le magnifique

Éditions De Vecchi

Langue normale :

Il me sourit avec une sorte de complicité – qui allait au-delà de la complicité. L’un de ces sourires singuliers qu’on ne rencontre que cinq ou six fois dans une vie, et qui vous rassure à jamais. Qui, après avoir jaugé – ou feint peut-être de jauger – le genre humain dans son universalité, choisit de s’adresser à vous, poussé par un irrésistible préjugé favorable à votre égard. Qui vous comprend dans la mesure exacte où vous souhaitez qu’on vous comprenne, qui croit en vous comme vous aimeriez croire en vous-même, qui vous assure que l’impression que vous donnez est celle que vous souhaitez donner, celle d’être au meilleur de vous-même.

Langue super soutenue :

Il se complaît à me sourire par une sorte de compérage, au-delà même du compérage. L’une de ces alacrités extraordinaires que l’on ne connaît que cinq ou six fois dans une existence, et qui vous réconforte à jamais. Qui, après avoir supputé – ou feint éventuellement de supputer – le genre humain dans sa complétude, prend le parti de vous consulter, mû par un irréprimable principe bienveillant à votre endroit. Qui vous appréhende dans la mesure idoine où vous appétez à l’être, qui conjecture en vous comme vous chéririez le faire sur vous, qui vous donne l’assurance que la compréhension de votre singularité est bien celle que vous aspirez à offrir, celle d’être au pinacle de votre essentialité.

Langue soutenue :

Il se complaît à me sourire comme si une sorte d’entente secrète avait tissé ses fils entre nous. Une manifestation de joie singulière que l’on ne rencontre que cinq ou six fois au cours d’une existence, et qui vous réconforte à jamais. Qui, après avoir apprécié – ou l’avoir éventuellement feint – le genre humain dans son entièreté, prend le parti de vous consulter, mû par un irrépressible principe bienveillant à votre endroit. Qui considère votre personne dans l’exacte mesure où elle aspire à l’être, qui vous accorde son crédit comme vous vous complairiez à le faire pour vous-même, qui vous donne l’assurance que la perception de votre être est bien celle que vous ambitionnez offrir, celle d’être à l’apogée de vous-même.

Langue familière :

Il me fait risette en mode complice, style méga complicité ! Un rictus extra perso qui vous tombe dessus cinq ou six fois dans la life et qui vous requinque à perpète. Le genre qui après avoir calculé la totale – ou peut-être avoir fait comme si – des mecs et des nanas, choisit de me causer, pulsé par un a priori formide pour moi. Qui me pige totaly comme je veux qu’on m’pige. Qui croit en moi comme je kiffe croire en moi. Qui m’balance sur l’honneur que l’concept qui s’dégage de moi c’est recta (exactement) celui que j’veux donner, celui d’être au top.

Langue vulgaire (quartier de banlieue de Seine-Saint-Denis, le 93, prononcer neuf trois) :

Y s’marre, l’enculé, genre le keum (mec) qui m’tape sur l’épaule en ma balançant que tous les deux on est à la vie à la mort. Un smile de ouf (fou) qu’on rencarde p’têt cinq, six fois dans une putain d’life, et qui vous détend du gland sur une longue distance. Le mecton qui a calculé – ou fait sacom (comme ça) – tous les raclos (garçons) et toutes les raclis (filles) du quartier, qui choisit de tchatcher avec ma gueule, satou (tout ça) parce que j’s’rais clean. Qui m’entrave (qui me comprend) des tifs aux arpions sacom j’m’entrave oim (moi), qui pensarave (raconte) que j’suis pas un gros bâtard de pourave, qui m’fait gober que j’me tape une affiche balèze comme j’kiffe la donner, l’genre le boss du Neuf Trois.

Langue enfantine :

Le garçon, ben y me sourit comme si je le connais déjà. Un sourire rigolo que j’ai jamais vu, comme si c’était un super copain. Il a regardé tout le monde, mais c’est à moi qu’il a parlé, le garçon, j’suis sûr parce qu’y m’aime bien. On dirait qu’y me connaît bien, aussi bien que moi, il dit qu’il croit que je suis le plus fort, j’sais pô si c’est vrai mais j’aime ça, il dit aussi qu’y veut être dans ma bande, eh ben… pasque y dit que c’est moi le chef pisque je l’dis. C’est vrai que c’est moi le plus grand de la cour de récré, pisque c’est ça c’est moi le chef.

Langue ironique :

Le gars y me sourit tellement que j’ai l’impression que soit j’ai un gros bouton rouge sur le pif, soit… y veut m’pécho grave. C’est vrai quoi, on m’a jamais souri comme ça, même ma copine Cindy elle m’regarde pas comme ça. Remarque c’est clair j’suis beau gosse, c’est vrai. Il a regardé tout le monde, un après l’autre, dans la salle et c’est à moi qu’y cause, le type. Il dit qu’il me comprend. Ben merde ! je l’sais bien que j’cause français quand même, tout le monde me comprend. Quoi ? Il croit en moi, le gars. Ben moi aussi j’y crois, je sais que j’existe, j’suis pas un fantôme ou un genre de faux zombie de cinoche. Tu m’étonnes que j’fais bonne impression, il a pas besoin del dire avec tout l’pognon que j’ai claqué en coiffeur pour me faire raser la moitié du crâne, en survêt à trois bandes et en pompes niké, jel sais bien que j’suis au top !

Langue régionale : pataouète (argot pied-noir)

Chouf (regarde) çuila, y m’sourit, un genre de sourire chikem (affectueux) la putain d’sa race ! Un sourire mielleux de toubib francaoui (métropolitain), la purée de nouzôtre ! J’en ai jamais vu un comme ça dans tout Alger, du bout du port, en passant par Barberousse (prison d’Alger) jusqu’au fin fond de la casbah, ma parole. Qui après avoir zyeuté en détail toutes les mouquères (femmes) et tous les yaouled (garçons) d’la caboche au tafanar (postérieur) en passant par l’cerveau, zaarma ! (mazette) c’est à moi qui veut tchatcher, l’kabout (têtu). En-ten-tion (attention) kabout dans ma bouche c’est kif-kif un compliment c’est pas comme babao (simplet). J’ezagère (exagérer) pas quand j’dis qu’y comprend une chiée pluss quinze (beaucoup, accru par l’exagération du nombre de S) de ce que dis de ma personne personnelle, y sait que j’suis pas un gros bec (vantard), y sait bien que j’sais qui j’suis, j’suis pas un cagao (avorton), la mort de tes os ! (prononcer osses pour cette insulte) j’suis le plus grand caïd de Bab-El-Oued (quartier d’Alger) que la terre ait jamais porté, et pis c’est tout ! Allez, pas de salamalec (pas de chichi) entre nous, l’ami, on va s’taper l’anisette (boisson anisée) et la kémia ! (Amuse-gueules pour l’apéritif.)

Voilà chères lectrices et chers lecteurs, si ce petit article vous a amusé et si vous-mêmes êtes tentés par l’expérience, il ne reste plus qu’à vous y essayer… 🙂

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