Le choix

— Mais tout ça, c’est du passé, Paul, conclut mon père après avoir vidé sa coupe. Tu sais bien que tu es mort dans un accident de la route. Nous sommes tous morts depuis longtemps, d’ailleurs. C’est ton esprit qui imagine ce repas de famille. Tu le rejoues sans cesse pour te donner du courage. Je sais que tu nous as attendus pour la prendre, cette fameuse décision. Alors je te le répète : le choix est simple. Soit tu tournes la page une bonne fois pour toutes, et nous montons ensemble vers la lumière. Soit il te faut redescendre. Une nouvelle naissance, de nouveaux parents, une autre chance de progresser. Mais tu sais déjà tout cela, nous avons eu cette conversation des dizaines de fois, mon fils.

Il souriait en me regardant. Un sourire un peu triste. Un halo argenté tournoyait au sommet de sa tête lui faisant une sorte de couronne. Après avoir reposé son verre, il s’éleva au-dessus de la table, aussi léger qu’une plume soulevée par le vent. Ma mère et mon grand-père s’étaient rangés à ses côtés. Je pouvais voir à travers leur corps. Le contour était irisé comme celui d’une bulle de savon qui monte vers le soleil.

— Je sais que choisir c’est quelque part renoncer, ajouta-t-il, mais…

— Mais renoncer c’est aussi se libérer. J’ai enfin compris, papa. Ici même, en lisant le livre de ma courte vie. J’ai réalisé qu’il me restait un tas de choses à accomplir. Une femme à chérir, des enfants à aimer. Une longue vie de choix, de renoncements, de plaisirs, de joies, de peines aussi. Je dois achever ce qui ne l’a pas été.

Et voilà, ce furent les derniers mots échangés avec ma famille. Après m’avoir embrassé, mes parents et mon grand-père se sont évaporés en direction d’une lumière chaude qui irradiait. À cet instant, j’ai ressenti une vague d’amour me submerger et me conforter dans ma décision. Alors, j’ai abandonné mes derniers scrupules derrière moi, comme un sac de briques trop lourd à porter, et je suis enfin né.

Vous vous demandez comment je fais pour me souvenir de tout cela. Eh bien, dans une prochaine histoire, pourquoi pas !