La petite cape cerise

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Prendre une histoire bien connue et la raconter d’un autre point de vue.

Je me suis inspiré du conte Le petit chaperon rouge de Perrault, et me suis amusé à le raconter du point de vue du loup.

Le pauvre canis lupus a été bien puni pour son forfait, car une bonne fée qui passait par là lui a jeté un sort. Il devra raconter cette histoire sous la forme d’un lipogramme, c’est-à-dire qu’une lettre de l’alphabet n’a jamais été utilisée dans ce conte. Avec un peu d’attention, vous la trouverez bien… ☺ 

*****

Petite Cape Cerise.

Il y a bien des lustres, je liais une amitié presque sincère avec une petite fille de village, la plus délicieuse que d’aucuns eussent su admirer, sa mère la chérissait et sa mère-grand l’adulait sans aucune limite. Je le sais pertinemment, je les épiais en cachette l’une et l’autre. Cette brave femme de mère lui avait fabriqué une petite cape d’un pigment cerise qui lui seyait si bien, que dans le village et par-delà sept lieues chacun l’appelait Petite Cape Cerise.

Un matin que je les guettais, j’entendis sa mère qui lui dit :

— Va t’enquérir de la santé de ta mère-grand, car certains dires allèguent d’une maladie. Amène-lui une galette que j’ai cuite et cette petite jatte de beurre.

Je vis Petite Cape Cerise partir dans l’instant, en vue d’aller chez sa mère-grand qui demeurait dans une chaumière bien au-delà du village.

Je la suivis.

À l’entrée d’une futaie, elle m’aperçut. Par chance, elle ne savait pas que j’étais un être malin et peu scrupuleux, qui avait une furieuse envie de la manger. Elle semblait terrifiée à l’idée de se hasarder plus avant, à cause de quelques abatteurs d’arbres qui devaient sûrement être là. Je devais la rassurer afin que le plan marchât.

— Tu sembles effrayée, ma petite, vers quel lieu te rends-tu ? 

La pauvre enfant, qui ne savait pas qu’il était dangereux de s’arrêter et de prêter intérêt à un canis lupus, me répliqua :

— Je vais m’enquérir de mère-grand, lui amener une galette avec une petite jatte de beurre que ma mère lui dépêche.

— Demeure-t-elle à grande distance ?

— Certes, cela est bien vrai, dit Petite Cape Cerise. C’est par-delà la meunerie, à la première chaumière du village suivant.

Que cette chair blanche paraît si tendre ! Et le parfum qu’elle dégage me met furieusement en appétit. Vite, une idée à lui suggérer :

— Eh bien, je veux aller la visiter aussi, je m’y en vais par ce chemin-ci, et tu prendras par ce chemin-là, lui précisai-je avec mes pattes. C’est le jeu de qui arrivera le premier ?

Elle acquiesça du chef.

Je détalai tel un lapin pressé, quelle plaisanterie que celle-là ! J’allais vite, à grandes enjambées, par le chemin qui était le plus rapide. La petite fille, elle, s’en alla par le chemin le plus lent.

À ce rythme, j’arrivai prestement à la chaumière de la mère-grand. À l’entrée, j’avisai un timbre argenté.

DRELIN ! DRELIN !

 Qui est là ?

— C’est ta petite-fille, Petite Cape Cerise, lui répliquai-je en maquillant le parler si caractéristique du canidé lupus. Je t’amène une galette et une petite jatte de beurre, que ma mère te dépêche.

La brave mère-grand, qui était alitée du fait qu’elle se sentait un peu mal, me cria :

— Tire la chevillette, la targette cherra.

 Je tirai la chevillette, et le battant s’entrebâilla. Suffisamment. Je me jetai céans sur la brave femme et m’en repus prestement, car il y avait plus de quatre nuits que je n’avais rien mangé. Ensuite, je fermai le battant et allai m’étendre dans le lit de la mère-grand, attendant Petite Cape Cerise, qui quelque temps après manifesta sa présence.

DERLIN ! DRELIN !

— QUI EST LÀ ?

— Mère-grand ? Es-tu enrhumée ?

Ah, flûte ! la petite peste ! Si elle repartait sans entrer, ce serait tragique. Je vais atténuer quelque peu le parler, m’exprimer différemment telle une vieille grand-mère usée par la vie :

— Qui est lààààà ?

Rassurée, Petite Cape Cerise se présenta :

— C’est ta petite-fille, Petite Cape Cerise, qui t’amène une galette et une petite jatte de beurre, que ma mère te dépêche.

— Tire la chevillette, ma petite, et la targette cherra.

Petite Cape Cerise tira la chevillette, et le battant s’entrebâilla. Je la regardai entrer, et me cachai un peu plus dans le lit, préservé d’un épais drap de laine, avant de lui dire :

— Tu as traversé cette grande sylve afin de venir me visiter. Tu es bien gentille, ma petite fille. Qu’as-tu fait sur le chemin ?

— Je me suis amusée à cueillir des avelines. J’ai tenté d’attraper des hespéridés jaunes et des nymphalidés bleus qui enchantaient le ciel de la futaie avec leurs ailes d’ange. Enfin, j’ai fait des gerbes de petites fleurs à l’idée de t’en faire un cadeau.

Quel brave bifteck que cette enfant-ci !

— Mets la galette et la petite jatte de beurre sur le bahut, le cadeau dans un vase, et viens t’aliter avec ta mère-grand.

Petite Cape Cerise se dévêtit, et alla se mettre dans le lit dans lequel je l’attendais. À ses mimiques, je réalisai qu’elle était bien surprise de mirer sa mère-grand en déshabillé.

Elle entama la causerie : 

— Ma mère-grand, que tu as de grands bras !

— C’est afin de mieux t’embrasser, ma petite fille !

— Ma mère-grand, que tu as de grandes jambes !

— Ainsi je me déplace mieux, ma petite fille !

— Ma mère-grand, que tu as de grands yeux !

— Ainsi je te distingue mieux, ma petite fille !

— Ma mère-grand, que tu as de grandes dents !

— C’est afin de mieux te manger !

Et en disant cela, je me jetai sur Petite Cape Cerise et la mangeai. Quelle bêtise que j’ai faite ! Le vice a causé ma perte, j’ai été bien puni depuis, car une méchante fée qui passait par là à cet instant m’a jeté un maléfice. Un maléfice qui m’interdit de dire la lettre, la lettre… Je ne puis la dire, mais il est facile d’en être instruit en lisant ces lignes.

Je terminerai cette fable par un enseignement qui, je l’espère, sera instructif. Il est évident qu’ici que de jeunes enfants, particulièrement de belles jeunes filles bien faites, et gentilles, égarent leur discernement en jugeant vrai les avis disparates de bien des gens différents et qu’il n’est pas curieux et aisé d’admettre, s’il en est tant, que je mange les jeunes enfants. Certes, les canidés lupus appartenant à une même espèce semblent de nature différente. Il en est certains, j’en fais partie, d’une humeur agréable, qui sans bruit, sans fiel, sans fureur, démunis, aimables et calmes, suivent les jeunes filles jusque dans les ruelles, jusque dans les chaumières… Mais hélas, les jeunes filles ne savent pas que ces canis lupus mielleux, de l’ensemble des canis lupus, en surpassent les plus dangereux. Cependant, eux, devraient davantage se méfier des Petite Cape Cerise qui traînent dans la sylve, afin d’amener une galette et une petite jatte de beurre à leur mère-grand chérie ! Cette vérité m’a valu un châtiment alphabétique et je jure devant Dieu qu’aucun vil appétit ne m’y reprendra plus.

Cet article a 2 commentaires

  1. Philippe Renaissance

    Tiens, je n’avais pas envisagé cette possibilité. Mais tu as raison, il n’y a point de lettre « W ». Cependant, écrire un texte sans cette lettre semble être un exercice assez facile. Pour ce petit jeu, j’ai réécrit la fable sans utiliser la lettre « O ». Et je peux t’avouer que la chose est moins aisée ! D’où Canis Lupus à la place du loup, petite cape cerise pour petit chaperon rouge, etc. Le « O » fait partie des douze lettres les plus utilisées en français. La plus utilisée est le « E ». Moyen mnémotechnique pour retenir les douze : « esartinulocd » E, S, A, R, T, I, N, U, L, O, C, D. 🙂 🙂

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