Quelle joie pour moi que de me plonger dans les arcanes de cette histoire, dans ces fameux Carnets secrets du Boischaut. Le lieu d’abord invite au mystère. Le Boischaut du roman m’évoque cette « vallée noire aux teintes vigoureuses et sombres » de George Sand. Un pays fait de bocages obscurs, de haies épaisses, de bois denses et humides percés çà et là de chemins creux, sans oublier ces ruisseaux que l’on nomme traîne, au « murmure discret ». Pour peu que le lecteur soit attentif, il entendra à coup sûr, derrière les mots de Catherine Dutigny, « les plaintes des martes, ces esprits mâles et femelles qui poursuivent de leurs imprécations flûtées les laboureurs des champs de la plaine. »
Dans les années soixante, au cœur d’une région tutoyant le fantastique « peuplé de fades, de pierres-sottes et de meneux de nuées », vit un vieux cantonnier nommé Jules, au tempérament un peu râleur, tendre toutefois, on le comprend facilement dans les relations qu’il entretient avec sa fille, et un tantinet bourru, taquinant la fillette de vin gris ou de Menetou-Salon à l’occasion. Il vit seul, enfin, pas tout à fait, puisqu’il est l’hôte d’un chat prénommé Arsène. Et par une diablerie propre au Berry, ce bon raminagrobis parle. Entre nous, d’après ce que m’a chuchoté mon chat au creux de l’oreille, tous les greffiers parleraient. Mais ne nous égarons pas… Tout le génie créatif de Catherine Dutigny s’exprime au fil des pages pour semer le doute dans notre esprit. Tout cela existe-t-il vraiment ? Mais oui, plus je lis ses lignes et plus je me dis qu’Arsène et Jules vont réellement mener une enquête qui les conduira à rechercher le responsable de la dénonciation d’un homme condamné à mort à la Libération. Aventures tragi-comiques lors desquelles je me demande qui d’Arsène ou de Jules incarnerait au mieux le rôle de Bourrel ou de Dupuy, les célèbres inspecteurs de la série phare de l’ORTF : Les Cinq dernières minutes.
Si vous commencez la lecture des Carnets secrets du Boischaut, et vous allez le faire je n’en doute pas, vous serez vite happé par le style flamboyant de l’auteure et par ce récit narré de main de maître de bout en bout. Ces péripéties vous entraîneront aux confins d’une réalité historique palpable, perçue dans un univers où vous devrez pourtant abandonner un pan de votre logique cartésienne. Avec Catherine Dutigny tout peut arriver, tangibilité, trompe-l’œil, fantasmagorie, on croit saisir la vérité, voilà qu’elle nous file entre les doigts. Pour la connaître, une seule solution, lire l’excellent roman Carnets secrets du Boischaut aux éditions Maurice Nadeau, disponible en librairie, sur le site de l’éditeur et sur bien d’autres plateformes.
