Les 300 et quelques

Pour les besoins de mon histoire, les noms du film ainsi que certains des personnages ont été changés. Toute ressemblance avec des personnes existantes ou ayant existé est purement fortuite… 🙂

Contexte.

Léonidas, le bien-aimé et respecté souverain de Sparte, apprend d’un messager venu de Perse que le roi Xerxès envisage d’envahir la Grèce et de soumettre sa cité. Il refuse de négocier un quelconque arrangement. Contre l’avis de ses conseillers corrompus par l’or persan, il part à la rencontre de l’ennemi avec les meilleurs soldats de sa cité. Léonidas choisit de combattre l’armée perse dans le passage exigu et rocheux des Thermopyles appelé également les gorges chaudes.

Nous le retrouvons au petit matin, lors du rassemblement. Le corps expéditionnaire prêt à dessouder de l’ayatollah est sagement aligné pour l’appel. Les regards sont décidés, les mentons volontaires, les armes affûtées.

— 298… 299… 300… 301… 302 ! conclut le préposé au comptage.

— Impossible ! rugit Léonidas. Nous sommes 300. Recompte.

Léonidas alias Léo est un bel homme. Grand, viril, la barbe noire taillée en pointe, les cheveux du même ton, gonflé à la créatine et aux stéroïdes anabolisants, bronzé de ses dernières vacances à Mykonos, oint à l’huile d’olive vierge « première pression à froid », mais Con comme une valise sans poignée ou une bitte d’amarrage installé en plein centre-ville de Sparte, derrière le Champion près du fleuriste. Du reste, le prestigieux titre de Con ne lui est pas exclusivement réservé. Les habitants de Sparte habitant en Laconie, une région située à l’extrême sud-est de la péninsule du Péloponnèse, se faisaient appeler les Lacons. Mais comme il était difficile à Léo de se faire comprendre sur un champ de bataille : « Ho ! on se regroupe, les Lacons ! », il a eu l’idée de contracter les deux vocables : les Lacons sont devenus Les Cons. « Ho ! on se regroupe les Cons ! » Évident… non ?

Bref, revenons à nos Cons…

— 296… 297… et 298, achève Chlamydiae.

Le pauv’ gars n’avait pas d’enfants, subséquemment il n’avait jamais eu à compter ses troupes avant la montée dans le bus en partance pour la colo.

— Ah ! nom d’un p’tit hoplite ! J’me suis gouré. J’avais pas zyeuté les quatre derniers. Ils sont 303, Votre Sérénité.

— C’est toi le comptable et tu oses t’emmêler dans tes chiffres. Chlamydiae, dois-je te rappeler que nous partîmes cinq cents ; mais par un prompt renfort, nous nous vîmes trois milles en arrivant au port, puis comme deux mille sept cents se sont noyés, nous restâmes à 300. Et pas 303, qui est un joli palindrome, je te l’accorde.

— Certes, Majesté, des rescapés de la noyade peut-être ? Remarquez que 303 est un nombre incroyable, pouvant se lire à l’endroit comme à l’envers. Comme nous sommes hellènes, j’ai considéré que l’envers vous plairait, avance-t-il à reculons.

— HA ! Bonjour les préjugés ! Je ne te demande pas de me sortir un chiffre qui serait susceptible de me contenter, mais le total exact dans sa totale exactitude !

Contrit, Chlamydiae va poursuivre le comptage, lorsqu’un éclaireur arrive en courant.

— Salut, roi Léonidas, je me… (Il reprend son souffle, épuisé de sa longue course.) Je me nomme Amphor.

Amphor est svelte. Étroit d’épaule, il a cependant une croupe callipyge.

— Que se passe-t-il, Potiche ?

— Amphor, votre Honneur. En un mot, nous sommes foutus !

Chlamydiae, qui a tout ouïe, veut fayoter auprès du chef.

— Ça fait trois mots, peuchère ! – Comme tu t’en doutes irascible pinailleur de lecteur, Marseille fut fondée comme colonie grecque par des Phocéens vers 600 avant notre ère sous le nom de Massalia. En outre, Chlamy était un fan des récits philosophiques de Socrate sur le sens de la vie, notamment l’apologie de Plus belle la vie.

Léonidas est furieux, il lève sa main droite dont il tend le majeur… non l’index… ou le majeur… – Arrête de m’embrouiller, public ! –, vers le ciel, puis vers Chlamydiae – ça y est, je me souviens, le majeur vers le ciel, l’index vers le comptable !

— Cesse de quantifier sur tes doigts, Chlamydiae ! Et d’ailleurs, cesse de quantifier tout court !

— Ah bon ! Mais, Votre Splendeur, pourquoi ne fallait-il pas quantifier Toucour ?

Toucour est un Spartiate qui a failli être réformé au conseil de révision. Pour atteindre la taille réglementaire, il avait chaussé de magnifiques cothurnes Louboutin avec un talon de quinze centimètres : des New Decoltissimo vernis noirs à semelle rouges.

À l’attention du lecteur : désolé, mon chéri adulé, mais vu l’état des finances de l’auteur, c’est à dire moi-même, j’ai signé quelques contrats d’espaces publicitaires pour couvrir mes faux frais.

« Titititit… Pigeonnant et longiligne, New Decoltissimo caresse le sol de sa silhouette pointue avec grâce et légèreté. Chaussée de cet escarpin le guerrier Louboutin affirme sa sensualité et son style… Tatatata ».

Léo s’emporte comme à son habitude. C’est un entier, avec une grosse paire de… cordes vocales.

— Il suffit, Clams ! (Puis, avec davantage de détachement.) Continue, ma petite urne.

— Amphor, votre Honneur. C’est aussi limpide que le théorème de Brad Pythagore : les hordes sauvages de Xerxès vont nous submerger, car elles sont cent fois, mille fois… dix mille fois plus nombreuses que nous. J’ai peur qu’il ne nous reste qu’une solution : la valise ou le cercueil !

Interloqué, Léo le regarde fixement. Manifestement il ne sait pas ce qu’est une valise – rappelle-toi, lecteur, qu’il n’a pas inventé le fil à couper la feta. Puis, il hurle à destination de ses hommes – Temps mort ! OK ! Il est toujours en train de gueuler, mais tu t’y verrais toi sans porte-voix ? Ah, y sont cool de nos jours les syndicats avec le progrès moderne : les porte-voix, les pin’s, les autocollants, les banderoles, et le barbecue roulant avec les merguez et les saucisses !

— Spartiates ! L’heure de la bataille a sonné. Je ne peux garantir que vous retrouverez la chaleur de votre foyer, en revanche je vous certifie Amour, gloire et beauté, mais surtout un aller simple au paradis des braves avec un cornet de frites et un ballotin de mon meilleur chocolat ! Qu’en pensez-vous ?

Les exceptionnels combattants grondent un puissant :

— Ahou ! Ahou ! Ahou !

— En êtes-vous sûrs ?

— Ahou ! Ahou !

— Sans regret ?

— Ahou !

— Ahou aussi, alors ! Tout le monde en position de combat ! J’entends la corne de brume, je perçois des trépidations dans le sol. En outre, je hume l’odeur particulièrement réjouissante des fameux Kebabs Maurice.

 « Titititit… Du petit creux du matin, au repas du soir en passant par la fringale du midi, les Kebabs Maurice sont là pour vous sustenter. À toute heure du jour et de la nuit, les Kebabs Maurice vous chérissent… Tatatata ».

— Quelle position, Votre Majesté ? s’enquiert Amphor.

— Position de la brouette de Zanzibar, pour commencer !

L’ordre est rapidement transmis. Fort à propos au demeurant, car les hordes guerrières s’enfilent dans le trou. En fait, les perces tentent de pénétrer les gorges chaudes… enfin le passage étroit des Thermopyles, quoi ! Les cruels combattants n’usinent pas dans le détail. Ça bataille, ferraille, défouraille, s’étripaille en veux-tu à vau-l’eau… Les 300 et quelques résistent magnifiquement avec leur grande lance à bout pointu. Malheureusement, certains soldats sont pris de crampe de mollets à force de filer des coups de saton, pendant que d’autres ont d’affreuses tendinites aiguës à trancher des têtes. Attention, les hoplites, faut pas faire n’importe quoi ! Les TMS représentent un grave problème de santé au travail. Au-delà de la souffrance humaine, ils sont à l’origine de déficits fonctionnels gênants dans le métier : des fioles à moitié coupées, des bras qui pendouillent… c’est pas du boulot ! Les TMS constituent un lourd fardeau économique pour la société à la fois parce que ce sont des maladies professionnelles hyper fréquentes, mais aussi parce qu’ils sont à l’origine d’un important absentéisme, sans compter les difficultés de reclassement d’un guerrier atteint.

« Titititit… Avant, à force de couper des têtes, j’avais mal au bras. Mais maintenant avec la guillotine du bon docteur Guillotin, tout va bien. Avec la guillotine Guillotin, j’en fais plus tout un foin ! … Tatatata ».

C’est alors que Xerxès apparaît, chevauchant un éléphant blanc albinos. Il aperçoit Léonidas.

— J’vais t’faire la peau, une fouès !

En réalité, Xerxès est un immigré belge né à Bruxelles, qui a travaillé quelque temps à Bruges dans une célèbre fabrique de chocolats. Expatrié en Orient, il est convaincu d’être un dieu vivant. Il porte le djihad partout où Léonidas passe.

 — Tu vas trépasser, vieille canaille ! gronde Léonidas. Ah ! tu cherches à m’dépouiller, vieille fripouille ! Tu deales sur le marché des douceurs chocolatées en venant taxer tous mes junkies accros à la théobromine. Jeff m’avait prévenu, heureusement !

« Titititit… Noël, Pâques, communion, mariage, Bar Mitzvah, ou tout simplement un cadeau à offrir lors d’un traité de paix, Jeff de Bruges, un monde de saveurs intenses au service de vos papilles. Jeff de Bruges, si y’en a plus j’fais du grabuge !… Tatatata ».

Léonidas est furax.

— Comme il est chou quand il trépigne, se dit Amphor. Son torse lubrifié, ses pectoraux imberbes et puissants et ses abdos en tablette de ganaches cacao Venezuela 70 %… waouh… waouh… waouh… j’lui oindrai bien le moule à Tajine ! J’arrive mon beau Léo !

 — J’vais te disperser, Xerxès ! Ahou ! Ahou ! Ahou ! continue Léonidas, qui n’a pas entendu Amphor. Regroupez-vous, les Cons ! Position de la gaufre !

La troupe se dispose en position de la gaufre de Liège, légère et indigeste à la fois. Les Perses ne perceront pas ! L’éléphant albinos qui transporte Xerxès semble dubitatif, il n’a jamais rien vu de pareil à Persépolis et…

Léo va-t-il se sortir de cette pénible situation ? Pourquoi promet-il un cornet de frites en guise de cadeau de bienvenue au paradis ? Qu’est-ce que la brouette de Zanzibar ? Xerxès va-t-il perdre le marché des chocolats perses ? Qu’est-ce qu’un moule à Tajine vient faire dans cette histoire ? Comment se fait-il que le beau Léo soit fan de la série Amour gloire et beauté ? Et question corollaire, la regarde-t-il sur le satellite ou les chaînes classiques de la TNT ? Je me demande comment cette histoire va mal tourner…